Olivier Callot à Saint-Syméon, Syrie du Nord (© P.-L. Gatier)
Hommage à Olivier Callot disparu le 12 août 2022
Olivier détestait les discours de toute espèce, les panégyriques, tout ce qui est solennel, guindé, prétentieux, que, goguenard, il observait si souvent dans le milieu universitaire. Néanmoins, il ne détestait pas la reconnaissance scientifique, même si elle le faisait terriblement rougir de modestie, comme le jour où dans un amphithéâtre comble, le Directeur des Antiquités de Chypre, Vassos Karageorghis, avait affirmé : « l’architecte Olivier Callot a totalement changé mes vues sur l’architecture du Bronze Récent ».
Joyeux compagnon, collectionneur de gravures et de monnaies, mais aussi d’anecdotes à se tire-bouchonner, amateur et auteur de farces pendables, il raffolait des bizarreries. En numismatique, c’étaient les monnaies obsidionales ou les surfrappes, les jetons des architectes du roi ou des échevins de Strasbourg.
Dessinateur virtuose dont, au premier coup d’œil, on reconnaît la patte, il ne pouvait que s’adonner aux caricatures. Parmi ses pochades, celles qu’il a consacrées aux bibliothécaires et aux bibliothèques ont fait date.

En effet, les livres ont été la grande affaire de la vie d’Olivier, et d’abord ceux de sa propre bibliothèque, les ouvrages qu’il classait et accumulait, les reliures qu’il cirait, les œuvres chinées sur les quais ou acquises chez des marchands qui devenaient ses amis.
Les livres sont aussi ceux qu’à côté de multiples articles il a écrit, co-écrit ou rempli de ses dessins : une vie de travail d’un architecte, d’un numismate, parfois archéologue ou historien.
Des préliminaires d’adolescent au Mont Saint-Odile en Alsace ; de véritables débuts, sous la direction du fameux Georges Tchalenko, comme « aide-architecte », dans le Massif Calcaire de la Syrie du Nord qui restera son domaine et son royaume jusqu’à son dernier souffle. Mais aussi, notamment :
- plusieurs autres chantiers à Chypre et en Syrie, Salamine et Kition, Ras Shamra et Emar ;
- Delphes, pour la terrasse d’Attale Ier, une galère où il a été, « compagnon de rame » de Georges Roux, selon la formule de ce dernier ; et aussi pour le stade ;
- la Cilicie, pour l’étude de villages byzantins proches de ceux de la Syrie ;
- Koweit, à la Mission archéologique de Failaka, qu’il a dirigée quelque temps – à son corps défendant tant il exécrait la besogne administrative – mais où il s’est passionné pour l’étude de la forteresse hellénistique ;
- la Jordanie, dans les ateliers artisanaux de l’hippodrome de Gérasa ;
- l’Égypte, dans les nécropoles de Plinthine et d’Alexandrie.
Ne cherchons pas à résumer les immenses apports scientifiques de ses œuvres, trop nombreux, trop divers, alors qu’il se glorifiait de n’avoir que deux diplômes, le certificat d’études et le diplôme d’architecte. Un exemple suffira, en revenant au Massif Calcaire matriciel.
Olivier, avait fait sa thèse, parue en 1984, sur les huileries byzantines de cette région. Il y avait montré, paradoxalement, que l’importance de l’huile d’olive avait été exagérée par son chef hiérarchique, le rugueux Georges Tchalenko, et qu’elle ne représentait pas la monoculture industrielle qu’on avait cru voir. Toutefois, de retour sur le terrain, dans le Massif Calcaire, il sentit qu’il y avait encore trop d’huile dans la machine. C’est alors qu’il réexamina tous les pressoirs anciennement connus ou nouvellement fouillés, comme ceux des temples et des monastères ou ceux du village de Déhès. Il fit ce que peu de chercheurs seraient capables d’accomplir : il renia publiquement, trente ans après, ses conclusions anciennes, et il montra, dans son magistral ouvrage sur les pressoirs de Déhès paru en 2017, que la plupart des pressoirs servaient au vin, voire – proposition plus radicale – aux deux liquides. Il faut donc repenser entièrement l’économie syrienne de l’Antiquité tardive.
N’oublions pas, cependant, un autre fleuron de la bibliographie d’Olivier, un petit bijou, livre tiré à une poignée d’exemplaires, Le contre-dictionnaire de la céramique orientale, où il déploie tout son talent de caricaturiste.
Les livres sont aussi ceux que ce grand lecteur pudique a engloutis, presque en se dissimulant : l’histoire et les romans, les Simenon et les San Antonio, les auteurs du xviiième siècle, Alexandre Dumas, Cosinus et Camembert, avec une prédilection pour les mémoires autographes et aussi pour les épais cycles romanesques du siècle dernier. Allongé à la rude, dans les nuits glaciales du Massif Calcaire, il dévorait à la bougie un unième tome des Hommes de bonne volonté de Jules Romains
Dans un autre livre, un roman historique qu’Olivier aimait énormément, La Semaine Sainte d’Aragon, on lit : « Mourir ? Qu’est-ce que cela signifie donc mourir ? On ne meurt pas, puisqu’il y a les autres. Et ce qu’on a pensé, cru, aimé, si fortement, si passionnément, reverdit avec ceux qui viennent, ces enfants dont le corps et l’âme grandissent, se font à leur tour sensibles à l’air du printemps, à la bonté, à la douceur des soirs. »
Pierre-Louis Gatier
Légende du dessin :
Restitution d'une colonne de stylite, Syrie du Nord (O. Callot, Mission de Syrie du Nord)