Roland de Mecquenem - Archives de Suse

télécharger au format PDF
 

Cote conservation : F/17/17255 / Document original conservé aux Archives Nationales, Paris.

Monsieur le Délégué Général,

J’ai l’honneur de vous adresser un rapport sommaire sur la campagne de fouilles à Suse, 1912, dont vous avez bien voulu me confier la direction sur le terrain. (…) Les travaux commencés le 8 janvier se terminèrent le 28 mars. Ils portèrent sur le tell de la Citadelle, l'Apadana, la Ville Royale, employant jusqu'à 1300 ouvriers. Ce grand nombre nous obligea à multiplier nos chantiers, c'est-à-dire à attaquer les points d'un intérêt non immédiat, à travailler sur les bords des tells avec les "couffes" qui d'ailleurs dans ces conditions donnent un rendement comparable à celui des wagons.

Travaux sur le tell de la citadelle

Les deux étages supérieurs avaient été enlevés par les campagnes précédentes ; l'étage inférieur, entre les III° et II° niveaux, fut exploré en de nombreux points (A, B, C, D, E, F cf. Plan n° 1 ) qui donnèrent tous des résultats concordants.

Plus de constructions en briques cuites, mais des inscriptions de langue proto-élamite, des documents archaïques, quoique en petit nombre. La partie centrale est un massif en briques crues. Les bords du tell furent surtout explorés ; c'est là qu'il y avait des chances de trouver des monuments d'après les fouilles antérieures. On y trouva beaucoup d'objets intéressants parmi lesquels :

En albâtre gypseux - de grandes coupes de 0,50 à 0,75 d'ouverture, un grand vase à col avec des ornementations, de nombreux petits vases de formes diverses, à oreillettes ou accolés par deux, ou en forme d'animaux ; l'un d’eux représente un sanglier supporté par des grenouilles dressées. Des statuettes dont l'une représente une femme agenouillée ; un poids prismatique avec poignée.

En pierre dure, des masses d'arme, poids en forme d'olives, petit lion couché aux yeux incrustés, haches et pointes de flèches ; fragment de relief en schiste.

En albâtre, des vases cylindriques à rebords, des supports de coupes. En grès cérame, une tête féminine, une tête d'animal, une plaque avec représentation de lion et d'étoile.

En bronze, des haches, des têtes de lance, des outils, des épingles aux têtes ornées, l'une de têtes de béliers, l'autre d'oiseau etc…

Des vases peints et des fragments de poterie peinte avec représentation de bouquetins et de serpents, de poissons.

De nombreux objets en terre cuite, statuettes, chars, charrue ?, animaux.

Trente-sept cylindres et cachets de diverses matières.

Une très importante collection d'empreintes de cachets sur des bouchons de jarres en terre crue donnant l'état de la glyptique à une époque voisine de Naramsin.

De très nombreux lots de tablette en terre crue d'écriture dite "protoélamite" ; une grande tablette prismatique, quelques tablettes anzanites, des fragments d'inscriptions sur pierre.

Enfin deux documents d'un genre nouveau : deux petits cônes, l'un en terre crue, l'autre en terre cuite, portant chacun une inscription protoélamite écrite en spirale à partir de la pointe.

L'étage inférieur (entre IV° et III° niveaux) fut exploré en deux endroits (G, H cf. plan I ) ; ils fournirent des vases grossiers façonnés à la main, des cailloux réservés comme fétiches ou instruments rudimentaires, des meules en pierre.

Le niveau de la nécropole archaïque des vases peints (au-dessous du V° niveau), fut exploré (en I Pl. N°I ) en un point directement opposé ; on y retrouva des fragments de coupes de grands gobelets etc… décorés dans un style analogue à celui de la découverte antérieure ; c'était le résultat cherché, la preuve de la grande extension de cette civilisation ; elle occupait la base du tell de la citadelle ; elle avait été d'ailleurs reconnue en de nombreux points de la Ville Royale.

Travaux sur l'Apadana

Le déblaiement du palais de Darius(Cf. plan N°2 ) fut activement poussé ; mais les constructions s'étendirent beaucoup plus vers l'Est qu'il n'avait été prévu dès le début, et la grande distance à laquelle il fallut porter les déblais ralentit trop ce travail pour qu'il fut possible de le terminer.

Il fut déblayé à côté du grand parvis découvert en 1911, un deuxième parvis dallé de grandes briques et bordé de salles. Il reste surtout du palais des pavages intérieurs exécutés en béton recouvert d'ocre rouge, mais les travaux en profondeur ont retrouvé presque partout les fondations en briques cuites des murs en terre crue ; également ont mis à jour de grosses pierres, sans doute fondations de colonnes.

Près de l'une de ces pierres il fut trouvé une grande tablette d'écriture perse, au nom de Darius.

La grande salle hypostyle d'Artaxerxès fut également déblayée à l'Ouest ; elle est à vingt mètres environ des derniers restes du palais de Darius. Il n'a été rencontré aucune trace de dallages ou murs intérieurs.

Ces travaux ont fourni de nombreux fragments d'inscriptions achéménides, sur bases de colonnes, stèles et pierre de fondation ; un fragment de barillet en terre cuite, des "oudjas" égyptiens, un petit aigle en argent, des briques achéménides émaillées et inscrites ; des poteries parthes, des jetons en verre avec inscriptions arabes, des poteries musulmanes, une inscription proto coufique sur lame de plomb, des verreries arabes, des lampes en bronze et en terre cuite…

Le mur d'enceinte à l'Est renfermait parmi des matériaux de nombreuses briques cuites à bas relief ; il s'en trouvait aussi dans les substructions du palais de Darius ; elles appartiennent donc à la décoration d'un édifice antérieur à celui là, peut-être antérieur à Darius.

Un fragment du mur d'enceinte à l’Ouest a été déblayé ; tout porte à croire que de ce côté la muraille était ornée de saillies. Ce déblaiement sera très intéressant à poursuivre.

D'autres tranchées (4, M, N, cf. plan N°1 ) furent faites à l'Est de l'Apadana pour rechercher des briques émaillées ; on y retrouva en effet de nombreuses briques d'ornementation et des fragments d'inscriptions achéménides sur pierre, un petit relief en albâtre, etc… ; à la partie supérieure de ces fouilles, des faïences musulmanes et quelques bijoux, dont une plaque ovale d'or entourant un quartz travaillé.

Travaux à la Ville Royale

La tranchée la plus importante (O, Cf. Pl N°.1 ) fut faite sur les bords du tell pour préparer une exploitation décisive par wagonnets ; elle occupa jusqu'à 350 ouvriers travaillant à la "couffe".

La coupe des terrains observée sur une hauteur de 14m ne varie de celle du tell de la Citadelle que par la plus grande épaisseur (8-9m) des restes postérieurs aux ruines élamites.

On reconnut sur une quarantaine de mètres la muraille achéménide (?) signalée par M. Dieulafoy avec des saillants et rentrants et son radier de graviers.

À la partie supérieure de la fouille, on trouva des faïences musulmanes, des vases de verre, des tombes, des statuettes parthes, un petit bas relief de terre cuite, des fragments de colonnes achéménides ; un fragment de barillet élamite en terre cuite.

À l'Ouest de la Ville Royale fut ouvert un petit chantier pour rejoindre la grande tranchée creusée en 1895 par vous même ; on y trouva un moule de statuette parthe, une base de colonne achéménide, une tablette anzanite, une construction en briques cuites.

En résumé, nous constatons que le tell de la Citadelle n'est plus à exploiter qu'en quelques coins particuliers : déblaiement de puits, exploration des bords ; que le tell de l'Apadana peut être définitivement reconnu en une ou deux campagnes, mais que la Ville Royale est un immense champ de fouilles dans lesquels les travaux jusqu'à présent effectués n'ont même pas la prétention de l'avoir reconnu. Il fournira d'abondants documents d'époques grecques, arabes et parthes et dans la profondeur des tablettes sémitiques et anzanites, des monuments élamites.

Il ne faut pas oublier non plus que la Ville des artisans paraît avoir été le siège de l'occupation parthe et arabe et que à peine reconnue, le levé topographique n'en a pas encore été fait. Cette dernière opération exigerait à elle seule le travail d'un attaché pendant une campagne entière.

Envois de la mission

Malgré le dur travail de surveillance,il fut possible de faire 97 caisses d’antiquités qui furent expédiées à Nasseri en 3 convois ; le premier envoyé à Dizful fut remis à un agent de la Cie Lynch ; le second comprenant deux chariots pour les pièces trop pesantes, fut conduit à Nasseri par H. Chausson sous une bonne escorte, à travers le désert ; le troisième fut amené par cette même voie par la mission quittant Suse. Toutes ces caisses furent vérifiées à Nasseri et furent remises à M. ter Meulen, agent consulaire de Russie et négociant ; il fut chargé de leur envoi à Marseille, sauf deux d’entre elles ; l’une contenant des briques élamites inscrites en double, et l’autre des vases peints de la nécropole préhistorique ; elles furent directement expédiées à Saint Pétersbourg, via Odessa, au musée impérial de l’Ermitage, selon vos instructions spéciales ; elles étaient le témoignage de votre reconnaissance aux autorités pour l’aide efficace apportée à votre voyage dans le N. de la Perse en 1911.

Le contenu des 95 caisses envoyées à Marseille se classe de la manière suivante

Nombre de caisses


1 Statue de Karibou-Sa-Susinak, en grès de Chouster, représente le roi assis sur un trône (la tête et les épaules manquent) le dos du personnage (grandeur naturelle) et les faces du trônes sont couvertes d’une inscription en langue sémitique où le roi énumère tous pays et les villes de son obédience.
2 Deux fragments d’une grande inscription sur grès, du roi Silhak ; celui-ci raconte ses campagnes poussées jusqu’en Assyrie.
1 Base de colonne achéménide avec inscription trilingue.
1 Grande inscription achéménide sur pierre de fondation de colonne.
4 Inscriptions achéménides sur pierres : bases de colonnes, stèles etc
1 Menus fragments d’une inscription de Silhak, et vases d’albâtre élamite.
1 Inscriptions sémitiques et proto élamites sur pierre.
2 [Vases parthes en terre cuite.
1 Vases d’albâtre élamites.
1 Vases archaïques de la nécropole.
1 Objets divers ; environ quatre cents ;
1 Tablettes et empreintes.
4 Briques émaillées achéménides : archers.
3 Briques émaillées achéménides : inscriptions
86 Briques émaillées achéménides : griffons
80 Briques en terre cuite achéménides : griffons
2 Briques élamites en double.
3 Vases peints de la nécropole.
95 (TOTAL)

Ces dernières caisses sont destinées aux musées de St Germain et Guimet.

Veuillez, Monsieur le Délégué Général, agréer l’assurance de mon respectueux dévouement.

R. de Mecquenem



retour en haut de page