Roland de Mecquenem - Archives de Suse

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Cote conservation : F/17/17255 / Document original conservé aux Archives Nationales, Paris.

FOUILLES DE SUSE.
COMPTE RENDU DE LA CAMPAGNE 1920-1921

TRAVAUX DE FOUILLES.- Les fouilles ont commencé le 5 Février ; le 18 du même mois les chantiers étaient organisés avec 250 ouvriers environs et furent maintenus à ce taux environ un mois ; le nombre des ouvriers fut réduit peu à peu jusqu’au 24 Mars, date de rentrée du matériel.

Les travaux furent concentrés sur la Nécropole élamite, reconnue en 1914 ( plan et pl. IV ) ce n’est qu’en fin de saison que les chantiers occupés à la découverte furent reportés tout auprès, au déblaiement de la partie Est du palais de Darius.

Les chantiers étaient près les uns des autres, la surveillance était plus facile et le rendement des ouvriers meilleur ; comme fouilleurs, nos hommes avaient un peu perdu la pratique, et M. Neuville et moi devions autant que possible nous réserver le dégagement des objets et la fouille des tombeaux.

Ville Royale (Nécropole élamite)



La partie de Nécropole explorée est comprise entre la plate-forme de gravier du palais de Darius et la muraille achéménide bordant le tell de l’Apadana. Si l’on prend comme 0 la cote correspondant au sol du palais, la base de la plate-forme est à la cote -8, comme du reste la base de la muraille achéménide.

Les travaux de reconnaissance en profondeur, qui avaient été poussés jusqu’à la cote -9,25 en 1914, ont été (p.8) approfondis à -12,50 ; il a été reconnu sur toute la hauteur de la coupe la continuité de la Nécropole qui se prolonge, d’autre part au dessous des graviers du palais.

Il a été retrouvé en profondeur (-9,25 à 12,50) des vases funéraires de grande dimension ( pl.I ,1.et 2.), des squelettes à même la terre avec quelques poteries, une tablette inscrite.

À -9,25 régnait une couche de 0,20 d’épaisseur, dans laquelle étaient abondants des silex taillés, nuclei et lames de faucilles ; les silex retouchés, burins ou grattoirs manquent ; il ne s’agit donc pas là de restes néolithiques, mais des restes de la population la plus pauvre ; les poteries de ce niveau, très grossières de pâte, et de forme simple, ressemblent à celles trouvées sur l’Acropole au-dessus des poteries énéolithiques, mais leur cuisson est beaucoup plus poussée.

Le déblaiement du niveau supérieur a été très avancé entre -9 et – 7,50 il a été déblayé de nombreuses sépultures. Six tombeaux construits en briques ont été retrouvés ( pl.III ) . La chambre sépulcrale est rectangulaire, limitée par des murs de 50cm de hauteur. Elle est recouverte par une voûte formée par des briques de champ, souvent moulées en voussoirs. Le mode de construction est le même que celui des aqueducs retrouvés dans le palais de Khorsabad. Ce sont de véritables caveaux funéraires ; ils contenaient, en général, plusieurs squelettes ; les premiers placés sont repoussés par la suite dans le fond de la tombe pour en introduire de nouveaux. Un caveau contenait (p.9) huit squelettes ; le dernier placé avait été posé au-dessus des autres, et les ossements étant restés libres de terre en étaient parfaitement conservés, alors que dans la généralité des cas les ossements pris dans la terre sont presque totalement décomposés. Le nombre des squelettes était plus généralement trois dans la même tombe ; un caveau n’en renfermait qu’un.

Souvent les morts étaient enterrés avec leurs parures et leurs armes, anneaux et bracelets de bronze, colliers de perles en pierre et en pâte, cachets gravés, quelques plaquettes d’or, couteaux, herminettes, burins et poignards de bronze. Ces instruments étaient parfois représentatifs, ce qui s’indique par leur taille ou par le peu d’épaisseur du métal.

Un de ces caveaux contenait une tablette de terre crue inscrite. L’inhumation était toujours accompagnée du dépôt de vases de terre cuite et de terre crue. Si la place manquait dans l’intérieur du tombeau, on les disposait à l’entrée sur des gradins de briques supportant des carreaux de champ formant porte.

Les vases sont assez différents de forme d’une tombe à l’autre ; en général, les pieds sont de petit diamètre, ou même le vase est en pointe ; les cols sont resserrés pour en diminuer l’orifice ; ils étaient destinés à des liquides. Il a été retrouvé plusieurs gourdes, décorées sur la panse circulaire de cercles peints concentriques. (p.10)

On rencontre à ce même niveau des sépultures d’enfants ; les restes en sont renfermés dans des jarres de dimensions appropriées. Dans le cas d’adolescents, pour simplifier l’ensevelissement, on retournait le vase sur le corps replié.

On a trouvé à ce niveau des cylindres cachets gravés, des tablettes inscrites.

Les tombes de ce niveau semblent appartenir à la fin de l’empire élamite du 9° au 7° siècle avant notre ère.

Il n’a pas été retrouvé de caveaux construits au-dessus de la cote -7,50, qui contient encore des tombes en jarre ou à même le sol, accompagnées de céramiques qui permettent une distinction en deux étages.

L’étage inférieur voit apparaître des vases en pâte blanche et friable, peu cuite, recouverte d’un émail parfois polychrome ( pl. V ,4.) . Ils sont le plus souvent décorés d’ornements en relief, dessinés sur la pâte et dont les contours sont adoucis par la couverte.

Les vases unis sont généralement à panse ronde ; les vases décorés ont souvent le fond en pointe ou sont presque cylindriques avec des anses opposées également ornées ou en forme de têtes de figurines ; il a également été retrouvé une gourde décorée d’entrelacs et de marguerites.

Les décors sont de style assyrien : marguerites, torsades, entrelacs, lignes de perles. M. Neuville, qui est sculpteur sur bois spécialisé dans les meubles de styles, (p. 11.) a été étonné de retrouver les motifs du pur Louis XVI exécutés avec les mêmes traditions, les mêmes trucs de métier.

Les vases de pâte blanche sont souvent accompagnés de vases peints, en forme de bouteilles, gobelets ou grandes marmites ; les décors en sont simples : ornements géométriques, triangles opposés, bandes, traits parallèles. La peinture s’en va à l’humidité. C’est là le troisième niveau à vases peints de Suse et le dernier.

L’étage supérieur voit apparaître les vases de terre cuite émaillée et les premiers objets de fer.

Il a été retrouvé à ce niveau deux tombes bien isolées que nous avons dénommées les « tombeaux à amphores » ( pl.V ) . La fosse d’inhumation était, en effet, couverte d’amphores rangées les unes à côté des autres, tête bêche ; ces beaux vases allongés en terre cuite rougeâtre mesuraient 1m20 de hauteur ; ils étaient vides ; l’orifice était fermé par un petit pot conique entré par le fond.

Le squelette était déposé allongé au fond de la fosse, profonde de 1m sous couverture ; le mort avait été couché sur le dos. Dans l’un des cas une série de vases en terre cuite, en terre émaillée, en bronze était alignée le long du côté droit ; l’un des vases de bronze était une sorte de coupe peu profonde, l’autre un gobelet orné au repoussé. Pour l’autre tombe, il n’y avait qu’une coupe de bronze posée au milieu du corps et dans laquelle étaient encore les phalanges des mains (p.12) comme pour une ultime purification.

Au même niveau l’on trouve des colliers de perles en pierre et en pâte, des anneaux, bagues, pendants d’oreilles, bracelets, épingles en bronze ; des épingles à tête de bitume, à tige de fer, recouvertes d’une mince feuille d’argent, quelques outils de fer.

La poterie commune est représentée par des vases hauts, à pied étroit, à col allongé, et des vases à pied à panse assez large.

Nous sommes ainsi arrivés à la cote -5m au dessous du sol du palais de Darius.

Les sept à huit mètres de terrain recouvrant renferment des tombes de basse époque, des vestiges de constructions en briques enduites de plâtre. On y retrouve les orifices entourés de dallage en pente, de nombreux drains verticaux souvent manchonnés par des anneaux en poterie. Ces puits, souvent très rapprochés les uns des autres, traversent la Nécropole ; un tombeau construit élamite était écorné par deux de ces puits ; leur fouille donne une quantité de débris de cuisine, des fragments de vaisselle émaillée, des fragments de verre.

J’attire l’attention sur ces drains parce qu’ils ont été signalés des Nécropoles de Chaldée comme destinées à amener l’eau pour abreuver les morts. À Suse il n’y a pas de connexion entre les puits et les tombes. (p.13)

Les inscriptions funéraires trouvées à Suse parlent bien de l’immense soif des ensevelis, de leur désir d’une eau bienfaisante ; mais il s’agit d’une eau qui doit leur être distribuée outre-tombe. Les vases déposés dans les tombeaux sont probablement destinés à recevoir cette distribution ; mais la manière dont ils sont disposés dans les tombes n’indique pas qu’ils aient été remplis au moment du dépôt ; en particulier, les vases se terminant en pointe ne sont pas du tout calés pour les empêcher de tomber.

En 1914, à la cote -9m, il avait été trouvé un pan de mur d’une dizaine de mètre de longueur, fait en briques cuites dont beaucoup étaient inscrites au nom de Silhak in Chouchinak, roi de Suse, ou portaient des reliefs. Les briques à relief étaient évidemment des éléments de panneaux décoratifs ; j’espérais beaucoup en trouver d’autres et je n’ai pas été trompé dans mon attente, car en creusant sous la muraille achéménide, il a été trouvé une partie de canalisation ( pl. II ) à courbure inversée comme les canalisations déblayées sur l’Acropole, et qui était construite en partie avec les mêmes briques ; en continuant dans la même direction, il fut retrouvé deux autres fragments de canalisation moins importants, contenant elle aussi des briques inscrites et à reliefs. Sans tenir compte des briques trop incrustées par la circulation des eaux ou endommagées par le maçon qui en avait fait le réemploi, il restait environ 200 belles briques à relief ou inscrites. (p. 14)

Malheureusement ces briques, à une près, n’apportent pas d’éléments nouveaux pour la reconstitution du panneau décoratif ; certaines de ces briques à relief sont en même temps inscrites, de sorte qu’il est probable qu’il y avait des panneaux entiers composés de briques inscrites. D’après le grand nombre de briques présentant le même relief, il est certain que le mur décoré de panneaux était fort important ; le panneau devait comporter au moins deux personnages et se répéter une cinquantaine de fois. Par analogie avec les fouilles de Babylone, et à considérer la topographie du tell primitif, ce mur aurait été celui d’une des portes de la ville élamite. La direction des canalisations est en moyenne Est-Ouest ; il n’y a de tombes qu’au Nord de cette ligne.

Apadana

En dehors de la nécropole, il a été déblayé environ cinq cents mètres carrés du palais de Darius ; il a été retrouvé des dallages qui doivent se reporter à une porte orientée vers le Nord et donnant accès à une rampe.

Ces fouilles ont donné des poteries gréco-parthes, des faïences musulmanes, une curieuse table à libation à quatre pieds, en terre cuite ; de petits objets parmi lesquels quelques cachets gravés, des pendeloques. Il a également été recueilli quelques fragments de stèles achéménides ; un fragment de base de colonne avec inscription.

Je donne ci-après une liste des objets inventoriés pendant la campagne ; il manque, bien entendu, de nombreux (p.15) doubles, dont les briques inscrites à relief.

En dehors des objets recueillis, l’intérêt de cette courte campagne a été de suivre l’évolution de la céramique pendant toute la fin de l’empire élamite ; une nouvelle fouille permettra de poursuivre cette étude dans la période archaïque et achèvera le déblaiement du palais de Darius.



26 juillet 1921

R. de Mecquenem

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